OMOM
VI.
(extrait)
Sans lui, la semaine s’était durement passée. Tudora se força à marcher malgré la pensée errant parmi les souvenirs de l’été entremêlés au vent froid et à la pluie de septembre, comme si la nature elle-même était attristée par la mystérieuse disparition de Omom. Elle regarde le ciel. Combien de douceur dans la quiétude de ces nuages qui font face de leur hauteur à la brise glaciale du vent d’automne ! Un automne particulier, contrairement à beaucoup d’autres qui apportent et emportent ses rêves vains de femme aimante. Le chagrin écume ses os, lui détrônant l’équilibre intérieur.
Les jours passent avec leur feuillage d’ombres et de lumières, attendant un signe. Un signe de lui. Tout autour, oui, l’automne. Voici les feuilles tombées sur le sol humecté. Le sifflement du vent les soulève pareil aux mains de Omom lui démêlant les longs cheveux.
Feuille soulevée au vent aurait aimé l’être !
Et qu’il lui dénatte la chevelure peinte richement en blanc au fil du temps.
*
Elle marche. Elle cherche. Elle marche et cherche quelque chose de concret de lui, de palpable de son passage, de son vécu. Non, elle ne doit pas le chercher si loin, parmi les arbres du parc où ils se sont baladés autrefois, mais là, plus proche, dans son âme. Était-ce un oiseau migrateur métamorphosé par la sorcière méchante en guerrier vaillant ? Trouvé par hasard sur l’escalier intérieur du mirage qui les a abrité une saison ?
Non, ils ne se sont pas rencontrés par hasard.
C’est comme ça que ça leur a été écrit.
La disparition de Omom n’est pas non plus accidentelle.
C’est tout ce qu’il leur a été écrit.
*
Ils se sont rencontrés dans les rayons chauds et réconfortants de l’été. Elle ne sait pas ce qui les a séparés, si c’était une malédiction ou une bénédiction. Cela n’a pas d’importance de toute façon. Dans toute la douleur déchirante rongeant sa chair, une pensée : nulle personne ne peut éviter son sort. Le mystère de leur rencontre n’était pas dans ce qui aurait été, ni dans ce qui aurait été humain à se produire, mais dans le miracle de la rencontre elle-même. Oui, Tudora avait rencontré ce qu’elle ne pensait jamais rencontrer chez son prochain : son semblable. Omom lui ressemblait. Ils ont tous deux été construits par l’inquiétude, par la tentation de l’inconnu, par la séduction de l’horizon, par la recherche de ceux au-delà de l’horizon. L’aventure, le risque, la provocation des choses, l’errance, dressaient leur blason.
*
Deux métèques, venus de loin, de millénaires culturels lointains, de montagnes et de mers différentes, façonnés par des histoires et des religions différentes, se sont rencontrés dans un petit hameau parisien.
Ils y se sont mis à se parler comme s’ils se connaissent depuis longtemps.
Il y a combien de temps ? Depuis le temps d’un petit passage peut-être dans l’épanouissante Rome. L’invincible Rome antique.
*
La symétrie des rides profondes, harmonieuses, comme les jardins du château royal de Versailles, sculpte le beau visage d’un homme serein. Ses yeux gris-bleu ennoblissaient sa physionomie dans le temps, au-delà du temps, quel que soit le temps. Elle emportera le souvenir de ce visage princier, rebelle, apatride, avec toutes ses ombres et lumières, et le fera passer dans un conte immortel, orphelin de ses héros.
*
Y a-t-il, toutefois, un mortel sans faute ?
*
C’est la fête du Grand Pardon.
Pardonnons.
Paris, le 28 Septembre 2020
Illustration : Lina Stern