Minuit à Lovfry
à Matoub Lounès
J’amarrais à minuit
L’acewiq n ṭayri w[1]
Au petit donjon songeur
De la maison blanche
De Lovfry.
Et l’ajuaq[2] nouait
Au blason de mon front
Le beau aggenur[3]
Aux A y ahlili[4] du rossignol…
J’ai quitté à l’aube,
Cœur brisé, ancre à la dérive,
L’île de l’éphémère paradis
Aux murmures du vitrail polymorphe…
Tu es resté, je suis partie…
La Seine seule pleura cette nuit
Au trille mélodieux du rossignol
Prenant son envol vers Irhallen[5],
Loin de mon donjon luisant
Où frémit encor ardent
L’éclat de l’amour errant…
Tu es resté, je suis partie,
Cœur à la dérive.
Doux chant de rossignol,
Ne me laisse pas rêver,
Toute seule, au seuil de l’automne !
Reviens-moi, à minuit,
Au donjon abandonné à Lovfry,
Je t’aime !
Hemmla-gh k !
Notes:
[1] Acewiq n ṭayri w (< kabyle): Le chant de mon amour. Acewiq: chant interprété par les femmes ; ṭayri: amour.
[2] Ajouak (flûte) : c’est l’instrument de la solitude, utilisé généralement par les bergers ; il est par excellence l’instrument des poètes mystiques.
[3] Aggenur : châle pour couvrir la tête, porté par les femmes au sud algérien.
[4] A y ahlili : titre d’une chanson de Matoub Lounès (1956-1998), chanteur et poète kabyle engagé dans la revendication identitaire berbère.
[5] Irhallen : centre universitaire de Kabylie d’où est partie la revendication identitaire berbère en Algérie.
Poème lu au Festival Lil’Auteurs, Les Lilas, le samedi 23 septembre 2016
Mise en ligne à Paris, le 24 septembre 2016