Avē, splendide matinée de juin !
C’est l’été et il fait si beau !
Les murs de la maison, alors, pourquoi me poussent-t-ils ?
J’ai si mal de mon enfance… A qui le dire ? Qui peut comprendre, qui ?
Je veux fuir la pression de ces murs qui ne savent plus me défendre contre mes envies… Ni contre le chagrin de l’enfance…
Je fuis la chambrette, je fuis dehors, pour me faire cadeau un pourboire étrange : je vais m’acheter au coin de ma rue, ce qui me manque depuis longtemps : un souvenir d’enfance.
Au coin de ma rue il ,est en vente un morceau de mon enfance incarné un panier en carton de cerises cœur de pigeon blanc !
Qu’est-ce que serait mon enfance sans les trois cerisiers dans la cour parentale ?
Quelle est ma vie aujourd’hui sans les trois cerisiers dans la cour parentale ?
Je demande au vendeur du coin – un beau jeune homme franco-marocain – de me donner le panier désiré.
Il ne sait pas que, à ce moment-là précis, j’achète une tranche de mon enfance.
Il ne peut savoir non plus qu’il est en train de me vendre un morceau vivant de mon inoubliable enfance.
Je paye et prends mon panier désiré.
Je cours pour chercher une source d’eau dans le parc Martin Luther King.
Je veux les laver. Je veux les goûter. Pour que je puisse me rappeler le goût de la première journée de vacances en mi-juin.
Ces premiers jours de vacances d’été ont toujours eu le goût des cerises …
Je cours avec mon petit butin sur l’avenue de Clichy. Je tiens près de mon cœur une brise au goût fertile de cerises de la cour de mes parents !
A quel point tu me manques, hélas, mon Enfance !
Ave, belle matinée de juin ! Des cerises étrangères – jamais cueillies par moi-même, comme autrefois, lorsque je vivais à l’âtre fertile – à peine achetées au coin de la rue, te saluent !
Je caresse la joue des cerises étrangères à peine achetées. Mes yeux les regardent avides, voraces.
Je commence à comprendre mieux l’inconnu qui achète tous les soirs, au coin de ma rue, un instant de bonheur aux certains bras bucoliques, asiatiques, qui l’attendent souriants tous les soirs !
En ce moment précis, je me sens plus proche que jamais de cet homme. Je fraternise avec la solitude d’un homme.
Combien ressemble ma solitude de femme à sa solitude d’homme !
Nous acquérons tous les deux ce que nous ne pouvons point avoir… Nous acquérons ce bout de bonheur destiné à nous aider traverser, lui, la nuit, moi, le point du jour.
Ave, belle matinée de juin!
Ces cerises cœur de pigeon qui ne sont plus celles-là cueillies par moi-même, il y a longtemps, te saluent !
Paris, le 15 juin 2018